Eugène Viollet-le-Duc CONSCIENCE ET PARTI-PRIS DANS LA RESTAURATION des monuments historique / style néo-gothique XIXe SIÈCLE
La France apparaît assez tard sur la scène du néo-gothique en raison des guerres napoléoniennes, mobilisant toutes les forces de la nation française, et du goût prononcé de l'empereur Napoléon I pour le style Empire néo-classique. La Restauration permet à de jeunes architectes de renouer avec le style gothique français du xiie siècle. L'architecte Jean-Baptiste-Antoine Lassus est un des précurseurs de ce renouveau architectural. Eugène Viollet-le-Duc travaillera avec Lassus sur différents chantiers — Notre-Dame et laSainte Chapelle à Paris notamment — et lui devra beaucoup sur un grand nombre de points.
Viollet-le-Duc est un architecte qui a été à son époque de premier plan: son génie réside en effet dans ses qualités d'observations minutieuses du bâti médiéval dignes des meilleurs travaux archéologiques (ses mérites enfin reconnus ont été célébrés au cours d'une grande rétrospective en 1979, à l'occasion des cent ans de sa disparition). Il restaura complètement certaines constructions, outrepassant souvent leur stade original d'avancement (c'est sur ce point qu'il fut longtemps et toujours attaqué: on lui reprocha d'inventer le plan des parties manquantes, et donc de dénaturer)
Ce n’est qu’à partir du début du XIXe siècle que l’on voit se manifester les premiers signes d’une conscience archéologique critique vis-à-vis des monuments anciens. Celle-ci prend corps avec la première grande campagne de restauration monumentale entreprise en France, le chantier de la basilique de Saint-Denis, dévastée lors de la Révolution, et dont les travaux débutent en 1813 sous la houlette de Debret. En 1840, Mérimée confie au jeune architecte Viollet-le-Duc (1814-1879) la restauration de la Madeleine de Vézelay, qu’il avait visitée lors de sa première tournée d’inspecteur général des Monuments historiques en 1834. L’église était alors dans un triste état, ainsi que le montre une aquarelle de Viollet-le-Duc, pour qui le dessin était indissociable de la pratique architecturale : voûtes crevassées, murs lézardés, tour gauche de la façade ouest effondrée, etc. Aussitôt entamé, le chantier de restauration s’étale jusqu’en 1859. Viollet-le-Duc reconstruit une grande partie de l’édifice, en particulier les arcs-boutants et les voûtes, et restaure la façade ouest, ainsi que le chœur. Réputé exemplaire et consciencieux malgré sa radicalité, ce sauvetage marque le début d’une longue série de restaurations : la Sainte-Chapelle (1842), Notre-Dame de Paris (1843), Carcassonne et ses remparts (1844), Saint-Sernin de Toulouse (1846), Saint-Denis (1846)... Dans les deux derniers monuments, Viollet-le-Duc met en œuvre ses grands principes théoriques sur l’architecture : proscrivant l’emploi de matériaux considérés alors comme modernes, tel le fer, il privilégie la structure architecturale de l’édifice au détriment du décor et de la diversité des ajouts effectués au cours de l’histoire. De son propre aveu, « restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné ».
Resituer un aspect « originel » qui n’a souvent jamais existé ou accepter les états successifs d’un monument : tel est le dilemne auquel sont confrontés les restaurateurs du patrimoine depuis l’époque de Viollet-le-Duc. Dès son vivant, et plus encore à partir de la fin du siècle, ses restaurations ont été jugées excessives, parfois même démesurées, et ont suscité de nombreuses polémiques : nombreuses furent les voix qui s’élevèrent pour lui reprocher la lourdeur de ses interventions et son refus de prendre en compte l’évolution architecturale dans le temps au nom d’une exigence d’unité stylistique. Pour ses détracteurs, le monument ancien doit être traité en tant qu’être vivant, ainsi que le préconisaient les Romantiques, et la stratification des différentes époques respectée. Ce sont de telles considérations qui ont notamment poussé les Monuments historiques à entreprendre à partir de 1979 la « dé-restauration » de Saint-Sernin de Toulouse, en vue de retrouver l’état originel de la basilique avant les ajouts effectués par Viollet-le-Duc. Cependant, ces polémiques ne sauraient masquer l’immense influence de cet architecte.